Quelques récits

Dans ces récits, j'ai extrait une problématique particulière chez des consultants dont les noms, bien sûr, sont modifiés. 

Un lien si fort

J’avais rencontré cette violoniste chez des amis. Mariana venait de signer un contrat avec un agent qui lui permettait de se produire sur différentes scènes en soliste. Pétillante, passionnée, talentueuse, elle avait malgré sa réussite une grande difficulté à être soliste face à une salle. Elle prétendait, finalement, préférer faire partie de l’orchestre et ne supportait pas non plus les journalistes. Il ne s’agissait pourtant pas de trac. 
Pour poursuivre sa carrière elle me demanda de l’accompagner quelques temps. Son thème évoquait l’absence d’un père dans les premiers mois juste après sa conception, une naissance bousculée, un rapport à sa mère très fort et particulier, et la nécessité de s’imposer de manière personnelle dans toute son expression créative. 

Ill. Vladimir Kudinov, Unsplash.com
Mariana est de double nationalité franco-argentine. En raison de circonstances complexes ses parents avaient  été obligés de vivre à distance, en Argentine, juste après s’être connus. Sa mère appris sa grossesse. Elle vivait seule dans l’attente que son mari puisse, un jour, la rejoindre. La jeune femme, désespérée par la situation, avait voulu sauter du haut d’un pont.  Alors qu’elle l’enjambait, le bébé, soudain, bougea dans son ventre et la mère renonça à son geste. Elle décida de vivre pour sa fille et celle-ci devint sa grande joie. De ce jour un lien indéfectible unit la mère et la fille.
"Avez-vous la sensation de mourrir avec votre mère si celle-ci disparaissait ?", demandais-je à Mariana. Et si elle, Mariana, se montrait seule en public, elle pouvait tuer sa mère, et donc se supprimer elle-même. Ces paroles provoquèrent, me dit-elle, un électrochoc, une prise de conscience non encore vécue de ce qui la freinait si puissamment. Nous nous vîmes encore pendant quelques séances. Mariana mène une belle carrière.  En solo.

Fuir le conflit intérieur


Jérémy Thomas, Unsplash.com
Dalir avait fondé une petite société pour laquelle il travaillait sans relâche. Passionné, jovial, il parlait de son activité avec enthousiasme. Il avait sept ans, lorsque sa famille avait fui un pays du Moyen-Orient. Il avait subi l’exil, la solitude mais appris, adulte, à s’imposer. Un jour il me demanda une consultation pour mieux « connaître ses forces et ses faiblesses » et ainsi être « plus productif ». 
Face à son thème, j’eus un instant de perplexité. Il correspondait mal à l'image affichée par cet  homme d’affaire déterminé, sûr de lui, efficace. Il parlait d’une personne profondément tiraillée entre une vie « spirituelle », éthique, riche en imaginaire, sobre et un besoin compulsif de matérialité, d’argent. 

Un conflit probablement très difficile à vivre tant qu’il ne réunissait pas ses deux pôles opposés. Sa question initiale était finalement faussée et il m’avoua détester son activité, s’y épuiser et être souvent tenté de tout quitter pour voyager sac à dos, vivre « d’amour et d’eau fraîche ». Mais il avait aussi un besoin compulsif, en effet, d’une vie très matérielle, de légitimité, de place sociale. Il souffrait aussi de ce qu’il considérait être une usurpation. En effet, il s’était fabriqué une soi-disant passion et s'était arrogé une expérience dans un métier dont, en réalité, il ignorait  beaucoup de choses. 
Il apparaissait tout à coup sans masques, en toute honnêteté et nous évoquâmes les issues possibles. Cependant, à l’époque, il n’était pas prêt à remettre en question ce qu’il avait créé, avec, de toutes façons, beaucoup de courage…